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La fatigue de compassion: comment la prévenir?

9 mai 2023

Nathalie Parent

psychologue

Temps de lecture 4 minutes
La fatigue de compassion: comment la prévenir?
Vous avez l’habitude de prendre soin des autres, mais dernièrement vous avez senti que vous viviez une baisse d’énergie, que la fatigue s’accumulait sans trop comprendre de quoi il s’agissait? Vous souffrez peut-être de fatigue de compassion. La psychologue Nathalie Parent explique en quoi elle consiste et, surtout, comment la prévenir.

La fatigue de compassion, c’est quoi?

La fatigue de compassion se définit comme un état d’épuisement physique et psychologique (mental, émotionnel) entraînant une saturation à ressentir la souffrance d’autrui. Le mot «compassion» vient du latin «compassio», défini par l’action de «souffrir avec». C’est donc le sentiment par lequel une personne perçoit ou ressent la souffrance de l’autre comme la sienne et cherche à y remédier.

Mais une personne qui s’expose à des souffrances répétées ou intenses qui font vivre de l’impuissance de façon soutenue peut verser dans la difficulté à donner, à aider, à soutenir davantage. À l’image de la situation dans laquelle l’estomac, après un repas copieux où on a le ventre plein, cherche à faire quelque chose de son contenu, à évacuer le trop-plein, les gens qui travaillent en relation d’aide, ceux qui prennent soin de quelqu’un ou de quelques personnes, exercent une profession dans les soins d’urgence (membres d’un corps policier, membres d’un corps ambulancier, etc.) ou qui sont en contact avec une clientèle traumatisée ou très vulnérable, ou encore les aidants et aidantes naturels, peuvent être saturés.

À quoi reconnaître la fatigue de compassion?

On reconnaît la fatigue de compassion lorsqu’une personne perd sa capacité à prendre soin de l’autre, à lui apporter du soutien, à l’aider, à éprouver de la compassion pour lui ou elle, et perd de sa vitalité. C’est comme si le contenant interne débordait d’émotions «non digérées». Plusieurs manifestations peuvent apparaître.

  • Remise en question douloureuse de son travail, absence de l’envie d’aider alors que la personne aimait son métier au point de le voir comme une vocation;
  • Hypersensibilité aux émotions des autres, aux drames, aux nouvelles, aux émotions présentées à l’écran, comme si la personne n’avait plus de frontière entre elle et l’extérieur. Tout l’affecte;
  • Besoin d’éviter toute situation qui renvoie à la souffrance et au sentiment de responsabilité ou besoin de se désinvestir (par exemple, devenir insensible à la souffrance d’un parent qui a besoin d’aide ou ne chercher qu’à partir ou voyager pour s’évader);
  • Voir les choses de façon négative ou devenir cynique par rapport à l’entourage, à la vie en général, à la nature humaine;

Présence de symptômes d’anxiété, de dépression, d’irritabilité, d’insomnie ou d’hypersomnie, de perte de concentration ou de mémoire, d’intrusion par des images de souffrance ou de drame.

Quelques pensées qui peuvent être des indicateurs de la fatigue de compassion:

  • L’infirmier qui se dit: «Il me reste tant de jours avant mes vacances, ça ira mieux bientôt.»
  • La policière qui se rend sur les lieux d’une manifestation: «Ce sont de jeunes délinquants et délinquantes.»
  • L’enseignante qui pense à la quantité de travail et aux vacances: «Ce sera bientôt terminé.»
  • Le parent d’un enfant lourdement handicapé: «Je n’en peux plus, comment je vais m’en sortir?»
  • L’intervenant social: «Je dois faire encore des heures supplémentaires pour compléter mes notes aux dossiers.»
  • L’urgentologue: «On est au bout du rouleau.»
  • La personne qui prend soin d’un parent en phase terminale: «Je m’occuperai de moi quand ce sera terminé.»

Comment ne pas se rendre à cette fatigue de compassion?

En n’attendant pas que la situation soit terminée pour s’occuper de soi. Il faut chercher à s’occuper de soi, à identifier ses besoins, à prendre conscience de ce qu’on vit émotionnellement. Car prendre soin de soi permet de mieux prendre soin des autres. Ce qui vaut autant pour le travail que pour la vie personnelle (par exemple, s’occuper d’un parent en fin de vie ou d’un conjoint ou d’une conjointe aux prises avec une maladie dégénérative). De la même façon qu’on doit d’abord, soi, porter le masque à oxygène pour pouvoir porter secours aux autres.

9 conseils pour prendre soin de soi

  1. Donnez-vous du temps de réflexion et permettez-vous de ressentir toutes les émotions, même les plus désagréables, telles l’impuissance, la colère, la tristesse, la peur, la honte, la culpabilité, etc., afin de «digérer» les éléments émotionnels entre les rendez-vous ou à un moment dans la journée. C’est une nécessité. Il arrive que des gens viennent en consultation quelques fois par année afin de s’offrir un temps d’arrêt et de réflexion sans nécessairement faire une psychothérapie. D’autres vont arriver à faire le point avec d’autres moyens, dont la méditation ou l’exercice physique.
  2. Prenez votre «pouls émotionnel», faites des bilans: Comment ça se passe pour moi en ce moment? Qu’est-ce qui a été plus difficile et qu’est-ce qui m’a fait du bien dernièrement? Qu’est-ce qui a été satisfaisant et gratifiant pour moi aujourd’hui? De quoi ai-je besoin présentement ou dans les prochains jours?
  3. Demandez un accompagnement entre professionnels et professionnelles (thérapie de groupe de pairs, soutien en groupe sur une thématique, supervision, codéveloppement ou rencontre d’équipe) si vous en ressentez le besoin.
  4. Faites des rencontres de groupe après un événement marquant afin d’évaluer la situation dans son ensemble, évacuer et nommer les émotions vécues.
  5. Prenez le temps de vous observer dans vos comportements afin de voir si vous évitez des émotions ou si vous cherchez à vous évader, à fuir le sentiment de responsabilité ou juste la réalité dans l’alcool, la drogue, le sommeil, le jeu, etc.
  6. Trouvez des activités nourrissantes qui vous permettent de vous sortir de votre travail ou de votre quotidien.
  7. Accordez-vous du temps pour rire et avoir du plaisir autant au travail que dans votre vie personnelle.
  8. Pratiquez l’écriture libre. Cela permet de se distancier du vécu émotionnel.
  9. Entourez-vous d’un réseau social qui peut vous soutenir et vous accompagner lorsque nécessaire. Je pense non seulement aux amis et amies qui écoutent, mais aussi aux personnes ou organismes qui peuvent vous aider, pour du gardiennage, du ménage, des repas, des pauses, etc. En appelant au 2-1-1, vous pourrez connaître les organismes en lien avec vos besoins dans votre secteur.

Mais si la situation vous dépasse, si vous ressentez un état de fatigue de compassion, n’hésitez pas à demander de l’aide professionnelle: médecin, psychologue, programme d’aide aux employés et employées. Si vous éprouvez une fatigue de compassion, faites preuve de bienveillance envers vous-même. Voyez les forces que vous détenez et utilisez-les à la fois pour manifester votre compassion et pour respecter votre capacité à vous investir pour aider. Et surtout, donnez-vous du temps pour voir à l’intérieur de vous ce qui a fait en sorte que vous vous retrouviez là pour ainsi respirer pleinement sans masque à oxygène.


Merci à Nathalie Parent, psychologue, auteure et conférencière, pour la rédaction de cet article.

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